MONGOLIE, histoire

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Françoise AUBIN

Edité par Encyclopædia Universalis - 2009

La Mongolie est le creuset d'où sont sorties les races turque et mongole, parentes ou proches par leur langue comme par certains traits ethniques et culturels. En cette terre dure à l'homme, l'élevage nomade s'est trouvé être la forme d'économie la mieux adaptée aux conditions naturelles. Non que l'agriculture et la VIe sédentaire y aient été ignorées ou y soient impossibles, comme le prouvent les vestiges, disséminés dans les steppes, de canaux d'irrigation et de villes ; mais, à l'époque historique et jusqu'à l'implantation d'une économie de type moderne en Mongolie actuelle, elles sont restées des phénomènes localisés.Et, de siècle en siècle, les « empires des steppes », selon l'heureuse formule de René Grousset, s'y sont succédé suivant un schéma à peu près immuable : d'un petit clan, luttant contre les rudesses du climat et les empiétements de ses voisins pour se maintenir dans une VIe précaire, surgit un chef énergique qui s'impose peu à peu par la force de ses armes, le prestige grandissant de son nom et ses alliances matrimoniales. Il en arrive ainsi, en quelques décennies, à dominer une confédération de tribus – l'équivalent nomade de l'État sédentaire – dont il est proclamé le souverain ou qagan (« grand-khan »). Son pouvoir, des immensités de l'Eurasie centrale où il s'étend de proche en proche, entre alors en conflit avec celui des peuples sédentaires limitrophes, le monde chinois en particulier. Qu'importe si à l'issue du combat le qagan, victorieux, monte sur le trône du royaume sédentaire ou si, tenu en respect, il se satisfait de sa puissance sur le monde nomade : son empire ne s'en disloque pas moins sous ses successeurs aussi promptement qu'il s'est formé, et selon un processus symétrique. Car les tribus qui avaient suivi sa fortune l'abandonnent dès les premiers signes de faiblesse pour retrouver, selon les circonstances, un rival en pleine ascension ou l'anarchie de la compétition individuelle. L'anthropologie n'a-t-elle d'ailleurs pas établi que l'ancien nomadisme d'Asie centrale reposait sur des unités familiales structurellement toutes équivalentes les unes aux autres, et que la différenciation socio-économique ne pouvait se développer que dans un contexte de conquêtes guerrières ?Les Turcs propres apparaissent sous ce nom au VIe siècle et les Mongols propres (si l'on excepte quelques mentions éparses dans les annales chinoises depuis les Tang) à la fin du XIIe siècle avec Gengis-khan. Avant ces deux dates, l'historien ne peut parler respectivement que de Proto-Turcs et de Proto-Mongols, et l'attribution de chaque dynastie nomade à l'une de ces deux ethnies repose principalement sur une étude linguistique des fragments d'onomastique et de titulature parvenus jusqu'à nous par l'entremise des chroniqueurs des pays sédentaires. De fait, les confédérations des nomades étaient composites, les mêmes éléments se retrouvant sous une direction à prédominance tantôt turque et tantôt mongole. Entre ces éléments, les emprunts linguistiques et les mélanges ethniques étaient constants par les intermariages (chaque unité patrilinéaire pratiquant l'exogamie) et par les unions de fait autant que par l'influence, forcée ou libre, des maîtres de l'heure. À travers les siècles, nombreux sont les exemples de Turcs mongolisés et de Mongols turcisés. Les Timourides, les Čagataides (ou Djaghataïdes), les souverains des khanats de l'Empire russe, tous turcs et musulmans, ne revendiquent-ils pas, à juste titre, une ascendance gengiskhanide ? Et la petite tribu mongolisée des Tatar, ennemie sans pitié du clan de Gengis-khan qui la décima en 1202, n'était-elle pas si célèbre que son nom désignait pour les Chinois – et pour les Européens sous la forme « Tartares » – l'ensemble des nomades d'Asie centrale, tandis qu'un peuple turc de la Volga en perpétue maintenant encore l'appellation ?Qu'ils soient turcs ou mongols, les peuples de l'Asie centrale antique et médiévale partageaient le même genre de vie. Car les différenciations s'opéraient entre eux non par ethnie, mais par zone climatique et selon la distance les séparant du monde chinois : depuis les tribus contiguës à la Chine ou, bien souvent, installées sur son territoire même et déjà sinisées jusqu'aux pasteurs plus frustes des steppes boisées de la Mongolie septentrionale et, enfin, aux rudes chasseurs de la taïga sibérienne, les bribes de la civilisation chinoise se diffusaient avec une force décroissante d'un peuple à l'autre. Mais, s'ils sont barbares aux yeux des Chinois et des autres sédentaires qui méprisent leur VIe nomade et redoutent leur vigueur guerrière, les peuples turco-mongols, vus à travers leurs propres sources historiques et leurs traditions, apparaissent riches d'une civilisation originale. Ils ont d'ailleurs à leur tour marqué la Chine de leur empreinte pour y avoir, depuis les débuts de notre ère, régné durant près de huit cent cinquante ans. Et leur apport à la civilisation mondiale n'est pas fait que de destructions : lien entre les extrémités du monde eurasiatique, les nomades des steppes ont été, dès l'époque la plus haute, le véhicule des techniques, des motifs artistiques, des religions. Maîtres dans l'art de la guerre et dans les techniques de l'élevage, ils ont enseigné à leurs voisins, entre autres, les finesses du dressage du cheval et de la stratégie militaire mobile.

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