NORVÈGE

Article numérique

Lucien MUSSET

Edité par Encyclopædia Universalis - 2023

Par deux fois, lors de référendums organisés en 1972 et en 1994, les Norvégiens ont refusé que leur pays adhère à l'Europe communautaire. Pour expliquer cette nette réticence, de nombreux commentateurs ont tiré argument du fait que la Norvège a longtemps eu à subir le joug de pays étrangers comme le Danemark puis la Suède. Par conséquent, elle serait particulièrement sensible aux abandons de souveraineté qu'une participation directe à la construction européenne entraînerait inévitablement.Période faste de l'histoire nationale, l'époque des Vikings a vu les ancêtres des actuels Norvégiens écumer les mers, colonisant les Orcades, les Shetland, les Hébrides et l'Irlande, sans oublier l'Islande, créant sur cette île une société qui devait inspirer les auteurs des sagas du XIIIe siècle. C'est à un Viking « norvégien » qu'on attribue en outre la découverte de l'Amérique du Nord au tournant du Ier millénaire. Commencée par Harald à la belle chevelure, vers la fin du IXe siècle, poursuivie durant les deux siècles suivant sous l'impulsion des rois convertisseurs Olaf Trygvasson et, surtout, Olaf Haraldsson, l'unification du royaume ne fut réellement achevée qu'au XIIIe siècle. Considérablement affaiblie par la Peste noire au milieu du XIVesiècle, la Norvège eut besoin de s'appuyer sur des alliances pour contrebalancer l'influence des Allemands de la Hanse, fortement implantés à Bergen. Par le jeu de mariages dynastiques, elle eut en 1380 un roi également héritier du trône du Danemark. Ce fut le prélude à l'Union de Kalmar, qui réunit les trois royaumes scandinaves de 1397 à 1521. Une fois cette union dissoute, la Norvège resta possession danoise jusqu'en 1814, date à laquelle elle fut rattachée à la Suède de Bernadotte, en compensation de la perte de la Finlande, conquise par les Russes quelques années plus tôt. Il s'ensuivit une nouvelle période de sujétion, à l'autre voisin scandinave cette fois, et ce jusqu'en 1905. C'est à cette date que le pays retrouva sa pleine souveraineté, après plusieurs siècles d'assujettissement à des couronnes étrangères.Longtemps considéré comme une lointaine province, le pays s'affirma au point de vue économique à partir du XVIIIe siècle, avec ses exportations de bois et de minerais. C'est à cette époque qu'il prit de plus en plus conscience de sa spécificité. Après le traité de Kiel, aux termes duquel la Norvège fut enlevée aux Danois, un fort mouvement de nationalisme prit naissance, s'exprimant entre autres dans les domaines linguistique et culturel. Il culmina près d'un siècle plus tard, au moment de la rupture de l'union avec la Suède. Alors qu'elle était au début du XXe siècle l'un des pays les plus pauvres d'Europe, la Norvège s'est hissée en quelques décennies au deuxième rang mondial quant au P.N.B. par habitant grâce à sa richesse en hydrocarbures, exploitée à partir des années 1970.La longue présence de la social-démocratie au pouvoir, dès la période de l'entre-deux-guerres, a largement contribué à instaurer un État-providence dont les principes fondamentaux sont perçus comme des éléments essentiels du modèle de société norvégien, quelle que soit l'orientation politique du gouvernement en place. Après avoir servi de référence dans de nombreux pays au cours des années 1960, le « modèle scandinave » perdit une bonne partie de sa force d'attraction dans les décennies qui suivirent. À la fin des années 1980, on alla même parfois jusqu'à proclamer sa fin. Après quelques années de crise économique sérieuse, les pays scandinaves, la Norvège entre autres, ont toutefois apporté la preuve de la vitalité de leur société, à telle enseigne que leur réussite actuelle attire à nouveau l'attention de nombreux pays étrangers. Depuis le milieu des années 2000, l'économie norvégienne affiche des résultats exceptionnels en termes de croissance et d'emploi. Il serait toutefois illusoire de penser que la société norvégienne est exempte de difficultés : grave pénurie de main-d'œuvre, vieillissement de la population, perspective de l'épuisement progressif des réserves d'hydrocarbures, présence d'un grand nombre d'immigrés, qui bouscule la cohésion sociale et crée des tensions politiques importantes, dégradation des locaux consacrés aux activités scolaires, aux soins aux personnes âgées, aux bibliothèques, lacunes du système de santé, etc. Membre de l'Espace économique européen, mais pas de l'Union européenne, qui est pourtant son premier partenaire économique, la Norvège est aujourd'hui largement ouverte sur le monde. Même si elle prend soin de mettre en valeur son patrimoine culturel, elle s'est mise au diapason de la mondialisation et a su tirer profit de cette situation nouvelle.Si l'on se place dans une perspective nationaliste, on peut dire que le malheur de la littérature norvégienne provient, pendant longtemps, d'une série de confusions ou de collusions imputables à l'histoire : pendant le Moyen Âge, d'un point de vue littéraire, Norvège et Islande ne se distinguent guère et l'évidente suprématie islandaise inciterait à remettre dans l'ombre la part pourtant capitale qui revient à la Norvège ; après le passage sous la domination danoise, même relégation, compliquée d'un problème de langue, le mode d'expression dano-norvégien (riksmål) contrariant le développement d'un langage purement local (ou landsmål, appelé aujourd'hui nynorsk : néo-norvégien) que les chercheurs de l'âge romantique devront retrouver dans les chants populaires ou folkeviser. Ce n'est qu'à partir de 1850 que, l'évolution politique aidant, la Norvège entrera de plain-pied dans le chœur des grandes littératures européennes, et alors avec un éclat remarquable que disent les grands noms d'Ibsen, de Bjørnson, puis de Hamsun, de Undset, de Vesaas, ou encore de Jon Fosse.Cela explique que les lettres norvégiennes soient, si souvent, si naturellement militantes : qu'elles réagissent contre la domination étrangère, dans le domaine linguistique en particulier, contre le puritanisme hérité d'un protestantisme rigide, ou qu'elles opposent les « deux cultures » dont elles sont nées – la danoise, urbaine, élégante et raffinée ; la populaire, rurale, réaliste et fruste –, il y a toujours quelque obstacle à vaincre pour les compatriotes d'Ibsen.Et il se pourrait bien qu'en dernière analyse cet antagonisme tînt encore plus à de douloureuses contradictions internes qu'à des éléments extérieurs. Les effusions de l'âme et la tendance profonde au rêve, la tentation mystique et le goût de l'ineffable qui paralyse souvent l'expression ouverte, le poids du passé légendaire s'opposent généralement, ici, à un besoin d'action concrète impérieux et cassant, voire à un naturalisme raide qui ne dédaigne pas le système. Mais, outre un élan de générosité spontané qui rachète la tendance un peu lourde à trop de gravité dogmatique, ce conflit se résout très heureusement, comme si souvent sous les ciels du Nord, par une grande connivence avec la nature ; la montagne, le sapin, la mer, la neige exaltent le regard qu'ils dotent d'une dimension cosmique, tandis qu'ils enracinent toujours l'âme et le rêve dans quelque fond de fjord.

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